Discours par François Hollande

Discours par François Hollande

Mesdames, messieurs les chefs d’Etat,

Mesdames, messieurs les chefs de gouvernement,

Monsieur le président du Conseil européen,

Monsieur le président de la Commission européenne,

Monsieur le président du Parlement européen,

Monsieur le maire qui nous accueille,

Madame la présidente du Land,

Mesdames, messieurs les personnalités qui êtes venues pour l’Europe et aussi pour le Prix Charlemagne aujourd’hui décerné à Martin SCHULZ,

Il me revient après le Président de la République fédérale d’Allemagne de prononcer l’éloge de Martin SCHULZ pour le Prix qui vient de lui être décerné. C’est un défi qui m’est donné car je connais trop Martin SCHULZ, pour ne pas dire tout de lui, et pas assez pour ne pas tout révéler.

Mais au-delà de Martin SCHULZ, une fois encore c’est à l’Europe que vous adressez ici l’éloge, non pas qu’il n’y ait pas de critique à lui apporter, le Président de la République d’Allemagne vient de dire combien les peuples attendent encore davantage de l’Europe. Mais il y a une telle attente qui lui est portée, une telle exigence née de l’idéal qu’elle incarne que nous devons toujours renouveler le projet européen.

Nous l’avons longtemps conçu comme un élargissement continu, et c’était d’ailleurs la force de l’unification. Mais elle ne peut pas être qu’un élargissement géographique, elle ne peut pas être qu’une unification. Elle doit être pour les citoyens un progrès, une protection, et en même temps pour le monde entier une lumière, celle de la démocratie, et une solidarité à l’égard des peuples qui en sont privés.

Cette année, le Prix consacre une fois encore une idée, l’Europe, un principe, l’amitié entre la France et l’Allemagne, et une personnalité, un homme qui incarne par son parcours à la fois l’idée – l’Europe – et le principe, l’amitié entre la France et l’Allemagne.

Ici, à Aix-la-Chapelle, c’est un lieu chargé d’histoire. Ici, chacun ressent l’esprit des origines puisque c’est à Aix-la-Chapelle qu’un monarque – dont nous partageons finalement tous ici le souvenir – un monarque qui était encore nomade en ces temps incertains, Charlemagne, a décidé de fixer la capitale du Premier empire où devaient coexister de gré ou de force – convenons-en – les populations européennes.

Plus que tous autres, cette ville d’Aix-la-Chapelle témoigne de la fécondité d’une grande idée, celle d’un regroupement imaginé il y a plus de 12 siècles, le regroupement d’un continent. Ce rappel historique et géographique nous invite aussi à une interrogation, à une grande question : pourquoi en dépit de cette matrice commune a-t-il fallu tant de séparations, tant de conflits, tant de haine ? Pourquoi aura-t-il fallu un millénaire entier pour que le continent trouve enfin le chemin de la réconciliation, de la concorde et de l’unité ?

Non pas qu’il n’y ait pas eu de tentative pendant tous ces siècles, non pas qu’il n’y ait pas eu des rebondissements inattendus, mais il y a eu des guerres fratricides pour finir avec les deux plus grandes tragédies meurtrières du siècle dernier. Et donc, il a fallu attendre cette hécatombe qui aurait pu engloutir à jamais l’idée européenne que pour ne plus jamais revoir ces images, ne plus jamais revivre ces catastrophes, un acte de volonté admirable fut posé.

Hommage soit rendu à celles et ceux qui ont eu cette lucidité, cette force, cette conviction. C’était sans doute un réflexe de survie, mais il fallait revenir à l’unité originelle dont Aix-la-Chapelle était le symbole pour bâtir une Union européenne.

Je reviens sur cette région qui, à l’époque, s’appelait la Lotharingie, elle était issue du traité de Verdun. Déjà, il existait des traités, on ne les soumettait pas aux peuples, pas davantage à des instances de représentation. Mais la région, elle, est aujourd’hui celle qui permet de faire converger Allemagne, Belgique, Pays-Bas et France.

Cette terre, vous la connaissez bien, cher Martin SCHULZ, puisque vous y êtes né. C’était finalement par cet acte de naissance presque un destin qui devait s’accomplir. Vous venez d’un village de l’arrondissement d’Aix-la-Chapelle, Eschweiler, et c’est également à quelques kilomètres d’ici, à Würselen, que vous avez entamé votre engagement politique, en exerçant très tôt des fonctions municipales puis un mandat de maire.

Maire, élu local, vous avez appris la politique là où elle doit se faire, c'est-à-dire à l’écoute, au service des citoyens. Vous ne vous êtes jamais coupé d’eux, car je veux écarter cette fausse idée que tout élu européen serait forcément loin des peuples par son mode d’élection, par sa fonction. Il suffit de vous connaître, Martin SCHULZ, pour savoir que vous faites le lien entre ce que vous avez été, ce que vous êtes aujourd’hui, un citoyen ancré dans un territoire et la représentation qui est la vôtre qui est de parler à l’échelle d’un continent.

Pour être profondément européen, il faut avoir le sens de sa patrie, il faut aussi avoir un lien avec un territoire. Nul n’est européen de nulle part, il n’existe pas un Européen qui serait détaché du sol sur lequel il est né, il travaille, il a bâti sa famille. Pour être pleinement européen, il faut être pleinement de quelque part. Vous, vous êtes d’ici.

Vous avez fait en sorte aussi de travailler très tôt à la coopération transfrontalière, c'est-à-dire travailler avec d’autres collectivités qui relèvent d’un autre système juridique, administratif et même financier, parce qu’en Europe nous ne sommes pas organisés de la même manière. Certains voudraient qu’il y ait dans toute l’Europe les mêmes administrations, les mêmes structures, les mêmes systèmes de financement. Mais c’est le propre de la démocratie que de choisir à l’intérieur d’un ensemble les démarches, les méthodes, les formes qui nous permettent d’être au plus près des citoyens.

Alors ayant fait cette expérience de la coopération transfrontalière, vous pouviez à ce moment-là connaître tout des bonheurs et des vicissitudes du Parlement européen. Vous avez tiré en effet des leçons et ces leçons, c’est de chercher à chaque fois par le dialogue et le compromis la bonne solution.

Permettez-moi d’évoquer d’autres traits de votre environnement familial et de votre formation, qui éclaire le parcours qui a été le vôtre et qui illustre les valeurs qui vous animent. De votre famille, vous avez gardé l’autorité qu’incarnait sans doute à vos yeux d’enfant votre père policier. Vous avez également toujours eu un attachement pour la liberté qui vous a été donnée par une solide éducation, mais dont vous avez su vous affranchir des rigidités. Enfin, vous partagez une valeur qui est celle du travail, du labeur que représentaient avec majesté vos grands-parents mineurs de fond.

Comment ne pas voir non plus dans votre formation de libraire le choix de recueillir le fruit des générations qui vous avaient devancé, mais aussi de vivre à l’affût de ce qui se pense et se créé chaque jour. Libraire, c’est transmettre et diffuser, aussi bien l’héritage que le neuf, le vivant. La librairie, ce qu’elle évoque, le mot, le lieu, c’est à la fois une inspiration, c’est retrouver MONTAIGNE et les Lumières, l’esprit de l’encyclopédie, Emmanuel KANT, bref, la philosophie.

Et ce métier que vous avez exercé avec passion justifie aujourd’hui – et j’en suis heureux – votre mobilisation pour protéger les droits d’auteurs en Europe et pour défendre l’exception culturelle. Et c’est un de nos combats communs. Nous acceptons l’ouverture, nous voulons qu’il y ait des accords pour les échanges commerciaux, mais la culture n’est pas une marchandise, elle n’est pas un objet comme les autres.

La lecture et la connaissance des plus beaux textes vous ont conforté dans vos qualités de dialogue, de tolérance et de patience. La patience, voilà une vertu proprement européenne. Il faut être patient pour être européen et il faut être européen pour être à ce point patient. Je ne parle pas simplement des longues réunions du Conseil européen, dont je me suis toujours demandé pourquoi elles ne finissaient pas plus tôt et pourquoi il fallait absolument que la nuit, toute la nuit puisse être utilisée pour que nous soyons vraiment sûrs de la conclusion. Moi, je l’avais souvent anticipée la conclusion, mais c’est sans doute ce charme indéfinissable de l’Europe que de savoir exactement ce qu’elle veut dès le départ, mais de prendre beaucoup de temps pour en être sûr à l’arrivée. La patience, elle est celle des chefs d’Etat et de gouvernement, elle est aussi celle du Parlement européen. Je l’ai été brièvement, sans doute parce que ma patience avait des limites, mais là aussi que de journées, de nuits peut-être de débats, de réflexions, de commissions. Mais c’est aussi la patience, une manière d’être précis, une manière d’être sûr que ce qui va s’écrire va pouvoir être appliqué. Alors vous avez fait preuve de patience lorsqu’il s’est agit de rapprocher des points de vue, de trouver des compromis, de régler des différends.

En Europe, le temps est sans limite et pourtant nous n’avons plus le temps, nous n’avons pas le temps, il y a trop d’urgences qui appellent notre intervention. Et en même temps, nous sommes animés par un principe, le principe de raison. Et la raison ne s’impose pas par la discipline d’un règlement, mais par la force des arguments. C’est ce qui fait que nous sommes européens, nous portons la raison. Je comprends mieux ainsi votre attachement à la mémoire d’un grand roi de France, Henri IV qui a fait l’objet d’un portrait par une grande figure européenne, Heinrich MANN, et je me suis interrogé : « Pourquoi cette relation avec Henri IV, un roi de France, quel rapport entre Martin SCHULZ et Henri IV ? »
En des temps troublés, ceux des guerres de religion qui ont ensanglanté l’Europe, Henri IV qui lui-même fini d’un fanatique chercha à imposer la tolérance, chercha à trouver les voies d’un compromis face aux agitations violentes et extrémistes. Et c’est ce qui a retenu votre attention sur ce roi de France. La tolérance n’est pas une nostalgie d’un ordre passé ; la tolérance c’est la promesse d’un avenir partagé. C’est pourquoi elle est bien l’une des formes de l’esprit européen, la tolérance, l’une de celle que nous devons le plus intensément persister à cultiver et à essayer de répandre.

L’esprit européen, c’est la réunion d’un patrimoine et d’un idéal, d’une fidélité et d’un engagement, vouloir se montrer digne de nos racines, de notre histoire, des grands inspirateurs de notre culture. Non pas pour faire une révérence au passé mais au contraire pour rehausser encore le niveau de nos ambitions. C’est parce que nous venons de loin que nous pouvons aller loin, c’est parce que nous avons été séparés que nous pouvons être ensemble. La démocratie du présent s’enracine dans des valeurs anciennes pour mieux les traduire dans la réalité. C’est ce que dit le préambule du traité sur l’Union européenne, quand il rappelle les valeurs universelles du message européen, les droits inviolables, inaliénables de la personne humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit.

Pour vous Martin SCHULZ, la démocratie parlementaire est au cœur de cette tradition. Vous êtes élu au Parlement européen depuis 20 ans et vous avez contribué à en faire à Strasbourg -j’insiste sur Strasbourg- le lieu vibrant du débat européen. Avec vous, le Parlement européen a imposé son rôle, son poids dans les décisions, y compris celles qu’une lecture plus stricte des traités ne le conduisait pas spontanément à assumer.

Vous avez voulu – et ça a été rappelé –le concept de Spitzenkandidaten -c’est un effort exceptionnel que j’ai fait de parler en allemand pour vous Martin SCHULZ, parce que c’est un concept qui vous appartient et qui, maintenant, nous appartient et qui a marqué les élections européennes de 2014. Et le Conseil européen, non sans débat et avec une infinie patience, l’a admis en proposant au Parlement la candidature de Jean-Claude JUNCKER comme président de la Commission européenne.

Cependant, votre démarche ne se réduit pas à l’affirmation de la place de votre institution. Depuis 3 ans, je vous entends ouvrir les débats du Conseil européen puisque vous y êtes invité pour le début de nos travaux. Vous exprimez les propositions, les attentes du Parlement, vous y ajoutez vos mises en garde personnelles et chaque fois avec ténacité, résolution, sensibilité, parfois même sur certains sujets émotion.

D’abord, vous affirmez la priorité qui s’attache à la croissance et à l’emploi en Europe, en regard desquels toutes nos politiques doivent être construites et mesurées. Vous faites en sorte aussi de rappeler que les institutions européennes doivent être ouvertes, claires, transparentes et justifier de leur décision devant les peuples. Enfin, vous affirmez une conception de l’Europe solidaire. Vous n’oubliez jamais que si vous êtes président du Parlement européen et que vous vous exprimez au nom de toutes les sensibilités, vous êtes un social-démocrate. Vous défendez l’idée européenne avec votre conviction de socialiste, que vous ne séparez jamais. Vous êtes européen et socialiste, vous êtes socialiste, donc européen.

Vous voulez que l’Union européenne soit davantage prête à intervenir sur les grands dossiers du monde, le Président de la République fédérale a insisté là-dessus. L’Europe ce n’est pas simplement la gestion d’un marché et pour certains pays d’une monnaie, ce n’est pas simplement de savoir comment nous allons engager des politiques nécessaires, utiles pour améliorer la compétitivité, pour assurer par des fonds structurels nos infrastructures.

Non, être européen c’est aussi agir pour le monde, agir pour des politiques qui puissent lutter contre les inégalités, des politiques qui puissent aussi nous préserver d’un certain nombre de fléaux. Aujourd’hui, c’est la question du terrorisme, c’est la question des guerres qui sont présentes à nos frontières et jamais loin, à l’Est, au Sud, au Moyen-Orient, en Syrie, en Irak, en Libye, en Afrique. Nous ne pouvons pas penser que ces conflits-là un jour ou l’autre ne nous toucheront pas, ils nous touchent déjà à travers le terrorisme qui a frappé plusieurs pays européens, à travers les mouvements de populations.

Mais au-delà même des risques que nous affrontons, il y a une responsabilité de l’Union européenne. Elle ne s’est pas construite sans avoir cette volonté d’éviter la guerre et, donc, pas simplement sur son sol, partout dans le monde. Et puis il y a un autre fléau qui nous menace, c’est celui du réchauffement climatique. Et je sais pouvoir compter sur l’appui de tous les Européens pour réussir la Conférence de Paris sur le Climat.

Vous êtes aussi sensible, monsieur le président du Parlement européen, à ce que l’Europe ait des règles, des règles fiscales, des règles sociales, des règles qui nous permettent de mieux vivre ensemble. Vous êtes aussi conscient que nous n’avons plus les frontières d’hier, mais que nous devons quand même protéger les nôtres ; et avec cet esprit de solidarité qui consiste à accueillir les réfugiés, ceux qui sont menacés et ceux qui traversent au péril même de leur existence cette Méditerranée qui devrait être une mer de paix. Et en même temps, nous savons que nous devons contrôler et faire en sorte qu’avec humanité nous puissions traiter ces populations.

Lourde tâche qui fait que nous devons agir en fonction de nos valeurs, également de l’intérêt de nos peuples et qu’il y en a toujours – et il y en aura toujours – qui utiliseront les peurs, qui utiliseront ces populations victimes pour soulever de nouveau le nationalisme et le refus de l’autre. Je sais votre ambition pour l’Europe, je sais aussi que vous avez toujours conçu l’Europe comme étant une Europe où chaque pays est à l’égal de l’autre, quelle que soit sa population, quelle que soit sa puissance économique. Et en même temps, vous avez pensé que la France et l’Allemagne avaient des responsabilités particulières en Europe. Et s’il advenait que l’Allemagne ou la France l’oubliaient, je suis sûr – vous connaissant bien, avec votre franchise habituelle – que vous seriez particulièrement actif pour nous interpeller.

Je ne parle pas de la Chancelière Angela MERKEL ni de moi-même, je parle de nos successeurs si un jour il y en a bien sûr, et ça finira par arriver dans un cas comme dans l’autre. Mais vous avez toujours su que l’entente franco-allemande était essentielle. Et je veux vous rendre hommage, vous avez contribué à rapprocher s’il en était besoin la Chancelière et le Président de la République française. Vous avez fait en sorte que nous puissions trouver à chaque fois les bonnes solutions et vous avez cette qualité rare, c’est de pouvoir vous exprimer aussi bien en allemand qu’en français, ce qui vous permet d’être compris par les deux, ce qui est déjà beaucoup.

Nous avons, la Chancelière et moi-même, montré que cette entente franco-allemande pouvait être utile, non seulement à l’Europe telle qu’elle est mais aussi aux pays qui se situent à l’Est de l’Europe. Nous avons passé effectivement de longues heures, cher président POROCHENKO à Minsk pour travailler, la Chancelière et moi-même, vers un accord dont nous espérons tous qu’il sera appliqué dans toutes ses dimensions, dans tous ses volets – et je sais que c’est votre intention – et que nous puissions préserver la paix.

Martin SCHULZ, vous êtes un homme de caractère ; en France quand on parle d’un homme de caractère, c’est qu’il se met en colère. C’est votre cas, certaines de vos colères sont feintes pour mieux justifier vos thèses dans une négociation, je les repère assez facilement. D’autres sont sincères, ce sont les colères qui jaillissent en vous chaque fois qu’il y a une injustice, un mépris, une indécence et ça vous est arrivé de les rencontrer.

Cher Martin SCHULZ, vous pensez que la politique doit rechercher les compromis mais que ce n’est pas un compromis permanent, qu’il y a des lignes rouges, des limites à l’expression de propos infamants ou d’actes injustifiables. Pour vous, la sincérité est l’arme suprême pour faire prévaloir vos idées. Alors continuez cher Martin SCHULZ, nous serons à vos côtés pour pourfendre le rejet de l’autre, le pessimisme décourageant, les abandons morbides, la complainte du déclin, pour lutter contre les vaines tentations du repli face à un monde qui ne nous attend pas.

Poursuivez avec nous l’œuvre à laquelle vous avez consacré votre vie, pour l’Europe, pour une Europe qui inspire, pour une Europe qui protège, pour une Europe qui nous grandit tous parce qu’elle rayonne, pour l’Europe pour laquelle vous avez amplement mérité le prix qui vous est remis aujourd’hui. Vive l’Europe et salut fraternel à Martin SCHULZ.